Le topi de l'Est (Damaliscus lunatus jimela) est une sous-espèce orientale du topi (Damaliscus lunatus), principalement présente au Kenya et au nord et centre de la Tanzanie. Il figure parmi les formes les plus emblématiques de la mégafaune des savanes est-africaines, notamment dans les plaines du Serengeti, du Masai Mara, du parc national de Tarangire ou du lac Natron. Il est souvent visible aux côtés de gnous, de zèbres et d’autres antilopes, occupant une niche écologique similaire, mais avec des comportements territoriaux bien plus marqués.
Morphologiquement, le topi de l'Est est une sous-espèce de grande taille, au pelage lustré brun rougeâtre avec des reflets acajou, typique des topis. Il possède des marques noires bien distinctes sur le visage, les pattes et les hanches, qui contrastent nettement avec la robe. Ses cornes sont longues, épaisses et en forme de lyre, atteignant jusqu’à 45 cm chez les mâles. Les femelles, légèrement plus petites, en possèdent également, mais de manière plus modeste. Le corps est élancé, musclé, avec des membres longs, adaptés à la course rapide sur terrain dégagé. Le poids moyen varie de 120 à 150 kg chez les mâles adultes.
Le topi de l'Est est présent dans le sud-ouest du Kenya, le nord-ouest et l'ouest de la Tanzanie, l'est et le sud-ouest de l'Ouganda et le nord-est du Rwanda. Il est aujourd'hui éteint au Burundi.
Cette sous-espèce est particulièrement associée aux plaines herbeuses à végétation basse et ouverte, souvent parsemées d’acacias, et il affectionne les zones humides temporaires, comme les bords de rivières ou les dépressions de savane où l’herbe reste verte toute l’année. Les zones de savanes brûlées sont également importantes, car elles offrent une repousse de graminées particulièrement nutritives. Le Topi de l’Est peut tolérer des habitats semi-arides, mais il reste dépendant d’un minimum de productivité primaire, ce qui le rend sensible à la sécheresse prolongée.
Le topi de l’Est est un brouteur sélectif qui se nourrit presque exclusivement de graminées fraîches, principalement des genres Themeda, Digitaria et Cynodon. Il peut ajuster son régime selon la saison et exploite avec efficacité les zones récemment brûlées. Son activité alimentaire se concentre aux heures fraîches de la journée, tandis que le reste du temps est consacré à la surveillance, au repos ou à la rumination.
La reproduction est synchronisée avec le cycle des pluies. L’ovulation des femelles est parfois influencée par la densité des mâles territoriaux, ce qui entraîne un regroupement des naissances. Après une gestation de 7,5 à 8 mois, les femelles mettent bas un seul petit, qui se tient debout en moins de 30 minutes. Ce dernier adopte une stratégie de cachette pendant quelques jours, restant couché dans les herbes tandis que sa mère revient périodiquement l’allaiter. La croissance est rapide, et les jeunes rejoignent le troupeau au bout d’une semaine.
Socialement, cette sous-espèce est célèbre pour son comportement territorial marqué. En dehors de la reproduction, les mâles forment des groupes de célibataires, mais durant la saison des amours, ils occupent de petites parcelles de territoire qu’ils défendent activement contre leurs congénères. Ces territoires peuvent être disposés en leks, dans lesquels les mâles se tiennent immobiles sur de légères élévations du terrain, observant le passage des femelles. Ces comportements de défense passive mais persistante, ainsi que les postures hiératiques adoptées, ont souvent été comparés à des rituels de parade nuptiale. Les femelles forment des hardes de 15 à 30 individus avec leurs petits, se déplaçant librement entre territoires masculins.
Les prédateurs naturels du topi de l'Est sont similaires à ceux des autres sous-espèce du topi et des antilopes de taille moyenne en Afrique de l'Est. Ils comprennent principalement :
* Lions : Les lions (Panthera leo) sont des prédateurs majeurs autant pour les adultes que pour les jeunes.
* Léopards : Les léopards (Panthera pardus) s'attaquent aux topis de tous âges, mais plus particulièrement aux jeunes et aux individus plus faibles.
* Guépards : Grâce à leur vitesse, les gupéards (Acinonyx jubatus) peuvent facilement rattraper un topi en pleine course. Ils s'attaquent plus particulièrement aux jeunes.
* Hyènes tachetées : Les hyènes tachetées (Crocuta crocuta) chassent en groupe et peuvent abattre des topis adultes, et sont également des prédateurs importants des jeunes.
* Lycaons : Les lycaons (Lycaon pictus) chassent en meute organisée. Ils poursuivent leur proie jusqu'à l'épuisement, puis l'encerclent avant de passer à l'attaque. Ces canidés sont des chasseurs particulièrement efficaces avec un taux de réussite avoisinnant les 80%.
* Chacals : Les chacals (Canis spp.) représentent une menace principalement pour les très jeunes topis (nouveau-nés).
* Pythons : Bien que moins fréquents, les pythons de Seba (Python sebae) peuvent potentiellement s'attaquer aux jeunes topis.
Les topis de l'Est se fient à leur vitesse, leur agilité et leur vigilance pour échapper à leurs prédateurs. Ils vivent en groupes, ce qui offre une certaine protection grâce à la vigilance collective et à la confusion qu'un troupeau en fuite peut créer. Ils préfèrent également les zones ouvertes avec une végétation courte, ce qui leur permet de mieux repérer les prédateurs à distance. Il n'est pas rare de les voir se tenir sur des termitières pour avoir une meilleure vue de leur environnement.
Les principales menaces pesant sur le topi de l'Est sont le développement agropastoral et la chasse. Le maintien des plaines inondables est également important; par exemple, la population autour du lac Rukwa (Tanzanie) a diminué suite à une montée des eaux qui a entraîné une réduction de la superficie de la plaine inondable.
CONSERVATION
Le topi de l'Est est actuellement considéré comme menacé. Il est inscrit dans la catégorie "Vulnérable" (VU) sur la Liste rouge de l'IUCN.
Plus de 90 % des topis se trouvent dans des aires protégées, notamment dans les parcs nationaux du Serengeti (Tanzanie), de Queen Élisabeth (Ouganda), des Virunga (RDC), de l'Akagera (Rwanda) et du Masai-Mara (Kenya). Cependant, les populations du parc national de Queen Élisabeth et des Virunga sont en déclin. La population de l'Akagera, dernier bastion effectif des topis au Rwanda, est passée d'environ 7 500 individus en 1990 à environ 770 à la fin des années 1990, suite à la réduction de la taille du parc en 1997, bien que la population se soit rétablie depuis.
L'histoire taxonomique du topi de l'Est, s'inscrit dans le débat plus large concernant la classification du complexe Damaliscus lunatus. Voici les points clés de son histoire taxonomique :
Le topi de l'Est a été décrit pour la première fois comme une distincte en 1892 par le zoologiste allemand Paul Matschie sous le nom de Damaliscus jimela. Cette description était basée sur un crâne d'un animal abattu dans ce qui est aujourd'hui la Tanzanie et sur une aquarelle de l'animal.
Au début du XXe siècle, Damaliscus jimela a été largement accepté comme le nom scientifique pour le Topi d'Afrique de l'Est. Par la suite, il a été généralement considéré comme une sous-espèce de topi (Damaliscus lunatus, devenant ainsi Damaliscus lunatus jimela. Cette classification regroupait sous une même espèce les différentes populations à travers l'Afrique.
À la fin du XXe et au début du XXIe siècle, des études morphologiques, écologiques et génétiques ont remis en question la classification traditionnelle de Damaliscus lunatus. Fenton Cotterill (2003) a notamment proposé de diviser Damaliscus lunatus en deux espèces distinctes : Damaliscus lunatus (sens strict, pour les populations du sud) et Damaliscus korrigum (pour les populations du nord et de l'est). Selon cette proposition, le topi de l'Est aurait été reclassé comme Damaliscus korrigum jimela. D'autres classifications, comme celle de Groves et Grubb (2011), ont même proposé une division plus poussée du complexe, reconnaissant potentiellement plusieurs espèces au sein de ce groupe.
Actuellement, de nombreuses autorités taxonomiques, y compris le GBIF et l'IUCN, maintiennent la classification du topi de l'Est comme une sous-espèce de topi qui est considéré comme une espèce polytypique avec plusieurs sous-espèces reconnues :
- Tsessebe de Bangweulu (Damaliscus lunatus superstes)
Cependant, il est important de noter que la vision alternative considérant le topi de l'Est comme une sous-espèce de Damaliscus korrigum (Damaliscus korrigum jimela) est encore présente dans certaines publications et continue d'être un sujet de discussion scientifique.
IUCN SSC Antelope Specialist Group (2017). Damaliscus lunatus. The IUCN Red List of Threatened Species.
Matschie, P. (1892). Über eine kleine Sammlung von Säugethieren aus Usambara und dem benachbarten Küstengebiete. Sitzungsberichte der Gesellschaft Naturforschender Freunde zu Berlin, 1892, 101-110.
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Groves, C. P., & Grubb, P. (2011). Ungulate taxonomy. Johns Hopkins University Press.
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Cotterill, F. D. P. (2003). Insights into the taxonomy of tsessebe antelopes, Damaliscus lunatus (Bovidae: Alcelaphini)1 in south-central Africa: with2 the description of a new evolutionary species. Durban Museum Novitates, 28, 1-30.