Le loup de l'archipel Alexandre (Canis lupus ligoni) est une sous-espèce insulaire du loup gris qui vit exclusivement dans les forêts tempérées humides de l’archipel Alexandre, en Alaska du Sud-Est. Relativement isolé, ce loup est l’un des plus mystérieux et singuliers de son espèce. Il se distingue par des adaptations uniques à un environnement insulaire couvert de forêts anciennes et fortement influencé par les dynamiques écologiques maritimes. Cette sous-espèce joue un rôle fondamental dans l’équilibre de l’écosystème forestier du Tongass National Forest, la plus vaste forêt nationale des États-Unis. Depuis plusieurs décennies, Canis lupus ligoni suscite une attention particulière de la part des scientifiques et des écologistes, à cause de son isolement, de sa génétique distincte et des menaces croissantes qui pèsent sur son habitat.
Le loup de l’archipel Alexandre présente des caractéristiques morphologiques qui le distinguent nettement des autres sous-espèces de loups. De taille moyenne comparé à ses congénères continentaux, il mesure généralement entre 120 et 150 centimètres de long, avec une hauteur au garrot de 60 à 80 centimètres. Le poids moyen des mâles adultes varie entre 35 et 45 kilogrammes, tandis que celui des femelles se situe souvent entre 30 et 38 kilogrammes.
Sa fourrure est dense, imperméable et bien adaptée au climat humide et froid de l’Alaska insulaire. Sa robe varie généralement entre le noir profond, le brun foncé et le gris argenté, avec une proportion importante d’individus mélaniques, un trait commun chez les loups de forêts tempérées humides. Son crâne est plus petit que celui des loups continentaux, et ses membres, légèrement plus courts, reflètent une adaptation à un terrain forestier dense et montagneux. Le museau reste allongé, les oreilles triangulaires et dressées. Les individus montrent une bonne agilité, ce qui leur permet de se mouvoir efficacement dans un environnement composé de forêts anciennes, de zones humides, de rivières et de terrains escarpés. Ces adaptations morphologiques permettent au loup de l’archipel Alexandre de se spécialiser dans la chasse en milieu forestier dense, souvent dans des conditions météorologiques difficiles.
Le loup de l'archipel Alexandre vit principalement dans le sud-est de l'Alaska et la Colombie-Britannique côtière, à l'ouest de la chaîne des Coast Mountains. Son habitat s'étend sur une zone d'environ 219 101 km², incluant les grandes îles de l'archipel Alexandre, à l'exception notable des îles Admiralty, Baranof et Chichagof, ainsi que des îles Haida Gwaii (Queen Charlotte). La Forêt nationale de Tongass constitue une part significative de son aire de répartition.
Ces loups sont étroitement liés à l'environnement de la forêt pluviale tempérée. Ils ont une préférence pour les forêts anciennes (vieille croissance) qui leur fournissent des habitats de chasse et des sites de tanière essentiels, souvent situés dans les cavités sous les systèmes racinaires d'arbres très grands et anciens. Bien qu'ils soient des généralistes en matière d'habitat, ils ont tendance à fréquenter les zones où leurs proies préférées sont abondantes. On les trouve dans des forêts côtières accidentées de pruche et d'épinette, des montagnes, des zones rocheuses et des rivages. Ils sont également de bons nageurs, ce qui leur permet de se déplacer entre les îles proches.
Le loup de l'archipel Alexandre est un prédateur clé de son écosystème insulaire. Son régime alimentaire est très spécialisé, dépendant à 90 % du cerf mulet (Odocoileus hemionus). Il consomme aussi occasionnellement des castors du Canada, des lièvres, des rongeurs, et consomme des charognes lorsqu’elles sont disponibles. Pendant la saison du frai, il peut manger du saumon, mais c'est moins courant que chez les ours. Cette forte dépendance au cerf rend le loup vulnérable aux fluctuations de population de sa proie, souvent causées par l'exploitation forestière ou les hivers rigoureux.
La reproduction de cette sous-espèce suit un cycle annuel. L'accouplement a lieu de février à mars, et les portées de 4 à 6 louveteaux naissent entre avril et mai, après environ 63 jours de gestation. Les nouveau-nés, aveugles à la naissance, sont élevés dans une tanière et sont sevrés vers six à huit semaines. Toute la meute participe à leur élevage et à leur protection. Les jeunes restent avec le groupe natal plusieurs années avant de se disperser, un processus essentiel pour la diversité génétique des populations insulaires, bien que l'isolement puisse favoriser la consanguinité.
Le comportement du loup est centré sur la vie en meute, une structure sociale organisée et hiérarchisée, typique des loups. Chaque meute, généralement composée de 5 à 8 individus, est dirigée par un couple alpha. La communication est cruciale et utilise des signaux vocaux (hurlements), visuels et olfactifs. Très territoriaux, ils défendent leurs zones de chasse. Leur activité est principalement nocturne ou crépusculaire, et ils font preuve d'une grande discrétion, évitant généralement les humains.
Le statut de conservation du loup de l'archipel Alexandre est préoccupant, bien que le loup gris dans son ensemble soit classé en "Préoccupation mineure" par l'IUCN. Endémique de l'archipel Alexandre et des régions côtières du sud-est de l'Alaska et de la Colombie-Britannique, cette sous-espèce est particulièrement vulnérable en raison de son habitat insulaire et de sa forte dépendance au cerf mulet.
Historiquement, les populations de loups en Alaska ont subi des massacres importants, notamment dans les années 1940 et 1950, par empoisonnement et tirs aériens. Bien qu'une loi fédérale ait interdit ces pratiques en 1972, le braconnage a persisté. Des déclins notables ont été observés, avec une estimation de la population de l'île du Prince de Galles, par exemple, ayant fortement diminué.
Les menaces actuelles pour le loup de l'archipel Alexandre sont principalement d'origine anthropique. La déforestation, et en particulier l'exploitation forestière industrielle, détruit son habitat essentiel, réduisant les zones de chasse et les sites de tanières. La construction de routes qui en découle favorise également l'accès des chasseurs et peut augmenter la mortalité due aux collisions. La concurrence avec les chasseurs humains pour le cerf mulet représente aussi une pression significative. En outre, l'isolement génétique entre les populations insulaires peut entraîner une consanguinité, rendant les loups plus vulnérables aux maladies et aux anomalies génétiques. Des pétitions et des actions sont régulièrement menées par des organisations de conservation pour exiger une meilleure protection de cette sous-espèce face à ces menaces persistantes.
L'histoire taxonomique du loup de l'archipel Alexandre est intrinsèquement liée à la classification des sous-espèces de loups gris en Amérique du Nord. Cette sous-espèce a été formellement décrite et classée pour la première fois en 1937 par le zoologiste américain Edward Alphonso Goldman.
Au début du XXe siècle, de nombreux naturalistes se sont attachés à documenter la diversité des loups à travers le monde, en se basant principalement sur des caractéristiques morphologiques, notamment les mesures crâniennes et les variations de pelage. Goldman, un contributeur majeur à cette classification, a identifié Canis lupus ligoni comme une sous-espèce distincte en se fondant sur des traits crâniens spécifiques observés chez les loups de cette région isolée du sud-est de l'Alaska et de la Colombie-Britannique côtière.
Les études taxonomiques plus récentes, notamment celles basées sur la génétique moléculaire, ont parfois remis en question le nombre élevé de sous-espèces initialement reconnues. Certaines recherches suggèrent que le loup de l'archipel Alexandre pourrait avoir des liens génétiques avec d'autres sous-espèces plus continentales, comme Canis lupus nubilus (le loup des plaines), ou qu'il représenterait une lignée génétique distincte influencée par son isolement géographique. Par exemple, des études ont montré que les loups de la Colombie-Britannique côtière sont génétiquement et écologiquement distincts des loups de l'intérieur des terres, ce qui renforce l'idée d'une identité propre pour Canis lupus ligoni et les sous-espèces côtières voisines comme le loup de la Colombie-Britannique et le loup de Vancouver.
Malgré ces débats et affinements, la désignation de Canis lupus ligoni par Goldman en 1937 est toujours largement acceptée dans les autorités taxonomiques, telles que le Mammal Species of the World (2005, 3ème édition), reconnaissant ainsi sa particularité due à son adaptation à un environnement insulaire spécifique, caractérisé par les forêts pluviales tempérées et la dépendance au cerf mulet de Sitka. L'histoire taxonomique de ce loup reflète l'évolution de la compréhension scientifique, passant d'une classification basée sur la morphologie à une approche plus intégrée qui inclut la génétique et l'écologie pour définir les unités de conservation.
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