Cerf du père David (Elaphurus davidianus)
Le cerf du père David (Elaphurus davidianus) est un mammifère originaire des zones marécageuses de Chine appartenant à la famille des Cervidae. Disparu à l’état sauvage au début du XXe siècle, il a été sauvé de l’extinction grâce à des programmes de conservation ex situ, notamment dans des parcs européens comme celui de Woburn en Angleterre. Aujourd’hui, des réintroductions en Chine, notamment dans la réserve de Dafeng, ont permis de rétablir des populations sauvages. Ce cerf, à la fois gracieux et robuste, incarne un symbole de résilience et de coopération internationale pour la préservation de la biodiversité.

© Amaël Borzée - iNaturalist

Le cerf du père David possède une morphologie singulière qui lui confère une allure unique au sein des cervidés. Son corps est massif, atteignant une hauteur au garrot de 1,2 à 1,4 mètre, tandis que son poids varie entre 150 et 200 kilogrammes pour les femelles et peut dépasser 250 kilogrammes chez les mâles.
Sa robe est brun clair à brun rougeâtre en été et devient plus terne en hiver, un pelage saisonnier qui lui permet de mieux s’adapter aux variations climatiques. Ses membres sont longs et relativement fins, adaptés aux déplacements dans les marécages et zones inondées, son habitat d’origine. La tête est allongée, dotée d’un museau sombre et de grandes oreilles mobiles. L’élément le plus distinctif reste sa ramure : les bois des mâles présentent une orientation vers l’arrière, contrairement à la majorité des cervidés dont les bois se développent vers l’avant. Cette particularité a souvent nourri des comparaisons avec les antilopes. La queue, étonnamment longue et touffue, évoque davantage celle d’un âne que celle d’un cerf. Ces traits morphologiques combinés expliquent le surnom de "chimère" que certains naturalistes lui ont attribué, tant il semble réunir des éléments disparates empruntés à plusieurs mammifères.

© John Howes - iNaturalist

Le cerf du Père David est une espèce endémique de Chine, connue aujourd'hui comme un exemple remarquable de sauvetage. Autrefois répandu sur une grande partie de la Chine, il a vu son habitat se réduire au fil du temps en raison de la chasse et de la conversion des zones marécageuses. L'espèce a disparu de l'état sauvage il y a plus de 1 500 ans, et le dernier spécimen en Chine a été décimé durant la révolte des Boxers en 1900.
L'espèce a survécu grâce à un troupeau maintenu dans le Jardin de chasse royal de Nanyuan, découvert par le missionnaire français le père Armand David en 1864. Il a envoyé des spécimens en Europe, où l'espèce a été formellement identifiée. Lorsque le troupeau royal fut décimé, seuls 18 cerfs du Père David, qui avaient été introduits dans des collections privées européennes, subsistaient. Le onzième duc de Bedford les a rassemblés dans son domaine au Royaume-Uni, sauvant ainsi l'espèce de l'extinction. Malgré la forte consanguinité, le troupeau a prospéré. En 1956, les premiers animaux ont été renvoyés en Chine, où des projets de réintroduction ont été lancés dans les années 1980. Ces efforts ont permis d'établir des populations en captivité à Pékin, Dafeng, Shishou et Yuanyang, assurant la survie de cette espèce unique.

Zones de réintroduction
© Manimalworld

Le cerf du père David est un herbivore strict dont le régime alimentaire dépend fortement de la disponibilité saisonnière des plantes dans son milieu. Dans son habitat originel, constitué de zones marécageuses et de prairies humides, il consommait principalement des graminées aquatiques, des plantes herbacées et de jeunes pousses. En captivité ou dans les réserves, son régime est plus diversifié et inclut du foin, des céréales, des feuilles d’arbres, ainsi que des légumes cultivés. Comme beaucoup de cervidés, il pratique le broutage et le pâturage selon les ressources accessibles.
Son système digestif, doté d’un estomac compartimenté typique des ruminants, lui permet de tirer parti d’une grande variété de fibres végétales. L’eau joue également un rôle fondamental, car l’espèce préfère les zones inondées où elle trouve à la fois nourriture et refuge. Dans certaines conditions, les individus peuvent entrer dans les plans d’eau pour consommer des plantes aquatiques émergentes.
L’activité alimentaire est principalement diurne, avec deux pics : tôt le matin et en fin d’après-midi. Cette organisation lui permet d’éviter les heures les plus chaudes de la journée et d’optimiser sa digestion.

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La reproduction du cerf du père David suit un cycle saisonnier marqué par un rut qui se déroule généralement à la fin du printemps et au début de l’été. Durant cette période, les mâles deviennent plus territoriaux et rivalisent pour accéder aux femelles. Les combats, bien que rarement mortels, sont spectaculaires et consistent en affrontements de bois où la force et la persévérance déterminent le vainqueur. Le mâle dominant peut constituer un harem regroupant plusieurs femelles qu’il défend vigoureusement.
La gestation dure environ neuf mois, et les naissances surviennent principalement au printemps suivant. La femelle met bas un seul faon, parfois deux, pesant autour de 10 à 12 kilogrammes à la naissance. Le faon est capable de se lever rapidement et reste caché dans la végétation durant ses premières semaines, tandis que la mère vient l’allaiter régulièrement. Le sevrage se fait vers six mois, mais l’indépendance complète est atteinte après un an. La maturité sexuelle survient vers 2 ans chez les femelles et 3 ans chez les mâles. Comme chez d’autres cervidés, la reproduction du cerf du père David est fortement influencée par la disponibilité des ressources, et une alimentation insuffisante peut réduire la fécondité. La dynamique reproductive joue un rôle clé dans la reconstitution des populations après leur quasi-extinction.
La longévité du cerf du père David est relativement comparable à celle d’autres grands cervidés. En captivité, où il bénéficie de soins vétérinaires et de l’absence de prédateurs, il peut vivre en moyenne entre 18 et 20 ans, certains individus atteignant même 23 à 25 ans. Dans des conditions naturelles, sa durée de vie aurait probablement été plus courte, estimée entre 12 et 15 ans, en raison des maladies, de la prédation et des conditions climatiques plus rudes.

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Le comportement du cerf du père David combine des traits sociaux et écologiques adaptés à son habitat. C’est une espèce grégaire qui vit généralement en groupes, dont la taille varie selon la saison et la disponibilité des ressources. Hors période de reproduction, les femelles et les jeunes forment des hardes, tandis que les mâles adultes peuvent s’isoler ou former de petits groupes célibataires. Le rut modifie cette structure sociale, car les mâles dominants rassemblent temporairement des harems. L’espèce est globalement paisible, mais devient agressive lors de la défense des femelles ou du territoire.
Sur le plan écologique, le cerf du père David présente un comportement semi-aquatique : il affectionne les marais et n’hésite pas à traverser ou séjourner dans l’eau, ce qui l’aide à échapper aux prédateurs et à réguler sa température corporelle. Son activité est surtout crépusculaire, avec des pics au lever et au coucher du soleil, favorisant l’économie d’énergie et l’évitement de la chaleur. Communicativement, il utilise des vocalisations, notamment pendant le rut, ainsi que des marquages olfactifs pour signaler sa présence. Les comportements d’entretien, comme le léchage ou le frottement des bois contre les arbres, sont également fréquents.

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Dans son environnement originel, le cerf du père David devait faire face à plusieurs prédateurs naturels, bien que sa morphologie et son habitat aquatique aient constitué une forme de protection. Les grands carnivores chinois, tels que le tigre (Panthera tigris), le léopard (Panthera pardus) et le loup gris (Canis lupus), figuraient parmi ses principaux ennemis natutels. Les jeunes faons étaient particulièrement vulnérables aux attaques de carnivores de taille moyenne comme le chacal ou certains rapaces. Toutefois, la propension de l’espèce à évoluer dans les zones marécageuses et à entrer dans l’eau lui offrait un refuge naturel contre de nombreux dangers terrestres. Aujourd’hui, dans les réserves où l’espèce est réintroduite, la prédation naturelle est largement absente, ce qui modifie l’équilibre écologique. Les menaces modernes sont davantage liées à l’homme. Cette relative absence de prédateurs naturels contemporains a des effets ambivalents : elle favorise la croissance des populations en captivité ou semi-liberté, mais prive aussi l’espèce de certaines pressions sélectives qui régulaient son comportement et sa vitalité. Dans un contexte de conservation, la gestion de l’espèce doit donc compenser l’absence de régulation naturelle par des pratiques d’élevage attentives à la santé génétique et comportementale des individus.

© Amaël Borzée - iNaturalist

Le cerf du père David s'est éteint à l'état sauvage en raison de la perte d'habitat et de la chasse. La taille de la population réintroduite n'était que de 120 individus en 1993, bien qu'elle ait augmenté à plus de 2 000 depuis. La faible diversité génétique a été identifiée comme une menace à long terme par Zeng et al. (2007) et Yang et al. (2008). On ignore quelle quantité d'habitat indigène subsiste encore pour permettre à ce cerf de vivre en liberté.
Le cerf du père David est considéré comme "Éteint à l'état sauvage" (EW) sur la Liste rouge de l'IUCN. Il est inscrit sur la Liste rouge chinoise comme Éteint à l'état sauvage, et sur la Liste clé de Chine - I.
Les mesures de conservation recommandées comprennent :
1) Établir des populations supplémentaires lorsque et où cela est approprié, dans le but de rétablir une population véritablement sauvage et libre.
2) Mener des enquêtes sur les quatre sous-populations libres dans les provinces du Hubei et du Hunan afin d'évaluer leur viabilité à long terme.
3) Mettre en place un programme de gestion génétique de toutes les populations en Chine.
4) Développer des programmes d'éducation à la conservation pour sensibiliser la population locale et le grand public à la conservation.
Suite à un essai de lâcher de cette espèce dans la réserve de Dafeng, en Chine, Hu et Jiang (2002) ont conclu que les futurs lâchers nécessiteront des frontières naturelles ou artificielles pour atténuer les conflits entre le cerf du père David introduit et les agriculteurs, sur les terres desquels les cerfs sont susceptibles de s'égarer. Ces auteurs suggèrent un modèle de réintroduction basé sur celui de l'oryx d'Arabie (Oryx leucoryx) à Oman.

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L’histoire taxonomique du cerf du père David est aussi singulière que son apparence. L’espèce fut découverte par les naturalistes occidentaux au XIXᵉ siècle grâce au missionnaire lazariste français Armand David, dit "« "Père David", qui observa ces cervidés dans les jardins impériaux de Nanyuan, près de Pékin, en 1865. Il en transmit des spécimens et des descriptions à l’Europe, ce qui permit à la communauté scientifique d’en reconnaître la nouveauté. En 1866, Henri Milne-Edwards, zoologiste français, publia la première description scientifique et attribua officiellement le nom Elaphurus davidianus. Le genre Elaphurus avait déjà été proposé en 1866 par Milne-Edwards lui-même pour accueillir cette espèce distincte, car elle ne correspondait à aucun autre genre connu de cervidés. Son apparence atypique – mélangeant traits de cerf, de cheval et d’âne – renforça la conviction qu’il s’agissait d’une lignée singulière.
Pendant longtemps, certains zoologistes débattirent de sa classification, proposant même de le rapprocher d’autres genres comme Cervus. Toutefois, les études morphologiques et, plus tard, les analyses génétiques confirmèrent sa singularité. L’espèce fut longtemps considérée comme éteinte à l’état sauvage, survivant uniquement grâce aux individus exportés en Europe, notamment au parc de Woburn Abbey en Angleterre, où le duc de Bedford maintint un troupeau fondateur. Les descendants de ce troupeau furent ensuite utilisés pour les réintroductions en Chine au XXᵉ siècle. Aujourd’hui, le statut taxonomique d’Elaphurus davidianus est bien établi : il constitue le seul représentant du genre EElaphurus, une position monotypique qui souligne son isolement évolutif. Cette histoire illustre l’importance des échanges scientifiques internationaux et la fragilité du patrimoine biologique, qui peut être sauvé grâce à une collaboration entre explorateurs, zoologistes et conservateurs.
Contrairement à de nombreux cervidés, le cerf du père David ne possède pas de sous-espèces reconnues. Les zoologistes ont parfois suggéré l’existence de variations locales anciennes, liées à la vaste répartition passée de l’espèce dans les plaines marécageuses de Chine, mais aucun élément concret ne permet de les définir en sous-espèces distinctes. Les populations actuelles en Chine, au Royaume-Uni ou ailleurs dans le monde sont donc considérées comme appartenant à une seule et même entité taxonomique. Cette absence de sous-divisions officielles reflète la réalité d’une espèce sauvée in extremis et reconstruite à partir d’un petit noyau génétique. En termes de conservation, cela implique une gestion particulièrement attentive, visant à préserver la diversité génétique limitée disponible et à éviter l’accumulation de tares héréditaires.
Nom commun | Cerf du père David |
Autre nom | Milu |
English name | Pere David's deer |
Español nombre | Ciervo del padre David |
Règne | Animalia |
Embranchement | Chordata |
Sous-embranchement | Vertebrata |
Super-classe | Tetrapoda |
Classe | Mammalia |
Sous-classe | Theria |
Infra-classe | Eutheria |
Ordre | Artiodactyla |
Sous-ordre | Ruminantia |
Famille | Cervidae |
Sous-famille | Cervinae |
Genre | Elaphurus |
Nom binominal | Elaphurus davidianus |
Décrit par | Alphonse Milne-Edwards |
Date | 1866 |
Satut IUCN | ![]() |
* Liens internes
Liste Rouge IUCN des espèces menacées
Mammal Species of the World (MSW)
Système d'information taxonomique intégré (ITIS)
* Liens externes
Global Biodiversity Information Facility (GBIF)
* Bibliographie
Milne-Edwards, H. (1866). Sur un nouveau genre de Cervidés provenant de la Chine. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, Paris, 62: 501-503.
David, A. (1865). Notes sur les animaux observés en Chine. Correspondances et manuscrits du missionnaire Armand David.
Hu, J., & Jiang, Z. (2001). "The current status of the Père David’s deer in China." Oryx 35(2): 145-152.
Zhang, L., et al. (2003). "Genetic variability in Père David’s deer (Elaphurus davidianus) revealed by microsatellite analysis." Conservation Genetics 4: 479-483.
Jiang, Z., et al. (2000). "Reintroduction and recovery of Père David’s deer in China." Wildlife Society Bulletin 28(3): 681-687.
Wen, C., et al. (2010). "Feeding ecology of Père David’s deer (Elaphurus davidianus) in the Dafeng Reserve, China." Acta Theriologica Sinica 30(2): 147-153.
Liu, Y., et al. (2004). "Behavioral patterns of Père David’s deer (Elaphurus davidianus) during the rut." Applied Animal Behaviour Science 87: 223-233.
Templeton, A. R., & Read, B. (1994). "The evolution of conservation biology." Trends in Ecology & Evolution, 9(7), 268-270.
Zhang, Y., et al. (2014). "Genetic diversity and population structure of Pere David's deer (Elaphurus davidianus) based on microsatellite markers." Conservation Genetics, 15(5), 1083-1092.
Groves, C. P., & Grubb, P. (2011). Ungulate Taxonomy. Johns Hopkins University Press.