Cobaye halophile (Dolichotis salinicola)
Le cobaye halophile (Dolichotis salinicola) est un rongeur sud-américain de la famille des Caviidae dans le genre Dolichotis. Moins connu que son cousin, le mara de Patagonie (Dolichotis patagonum), il partage néanmoins de nombreux traits comportementaux et physiologiques, tout en possédant des spécificités liées à son habitat unique. Le cobaye halophile est également appelé Mara du Chaco ou Mara nain.

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Le cobaye halophile possède une morphologie singulière qui lui permet de s'épanouir dans les milieux difficiles. C'est un rongeur de taille moyenne, mesurant généralement entre 45 et 50 cm de long et pesant de 2 à 4 kg. Son corps est élancé, avec des pattes arrière longues et puissantes, parfaitement adaptées à la course et aux sauts, une caractéristique qui rappelle celle des lièvre. Les pattes avant sont plus courtes, mais robustes, et se terminent par des griffes adaptées à la recherche de nourriture et au creusement de terriers.
La fourrure, de couleur gris-brun sur le dos, devient plus pâle sur les flancs et le ventre. Elle est épaisse et dense, offrant une isolation efficace contre les variations de température extrêmes de son habitat. Sa tête est relativement petite par rapport à son corps, avec de grandes oreilles mobiles et de grands yeux foncés qui lui confèrent une excellente vision. Ses vibrisses, longues et sensibles, lui permettent de naviguer dans l'obscurité et de détecter des obstacles. La queue est courte et souvent peu visible. Une autre particularité est la présence de quatre doigts sur les pattes antérieures et de trois sur les pattes postérieures. Cette configuration est unique au sein de la famille des Caviidae et est une adaptation à sa locomotion. La dentition est celle d'un herbivore, avec des incisives qui poussent continuellement, essentielles pour couper la végétation fibreuse. Les molaires sont larges, idéales pour moudre les plantes.

Crédit photo: Alex Kantorovich - Zooinstitutes
Le cobaye halophile est présent dans les écorégions du Chaco, à l'extrême sud de la Bolivie, au Paraguay et au nord-ouest de l'Argentine, jusqu'à la province de Córdoba. Il est également présent dans plusieurs zones protégées, notamment le parc national de Kaa-iya del Gran Chaco en Bolivie, et le parc national Defensores del Chaco au Paraguay.
L’habitat privilégié de l’espèce est constitué de terrains ouverts, secs et arbustifs, où la végétation se compose d’arbustes épineux, de graminées éparses et de plantes halophiles adaptées aux sols riches en sels minéraux. Ces zones, parfois improprement appelées “salinas”, fournissent non seulement une ressource alimentaire spécifique mais aussi un camouflage efficace grâce aux teintes du sol et de la végétation. Le cobaye halophile évite généralement les zones de forêts denses ou humides, préférant les espaces dégagés qui lui permettent d’utiliser sa vitesse pour échapper aux prédateurs. Toutefois, il reste dépendant de la présence de buissons ou de petites touffes végétales qui lui servent d’abris temporaires.

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Le régime alimentaire du cobaye halophile est principalement herbivore, adapté aux ressources disponibles dans son habitat aride et salin. Il se nourrit d'une variété de plantes, notamment des herbes, des feuilles, des tiges, des graines et des fruits. Il a une préférence marquée pour les plantes succulentes et les halophytes (plantes tolérantes au sel), qui lui fournissent non seulement les nutriments nécessaires, mais aussi une source d'eau précieuse dans un environnement où l'eau douce est rare. Cette capacité à se nourrir de plantes salines est une adaptation remarquable qui lui permet d'exploiter des niches écologiques inaccessibles à d'autres herbivores.
Le cobaye halophile est sélectif dans son alimentation, choisissant les parties les plus nutritives des plantes, ce qui maximise son apport énergétique. Il consomme souvent des plantes cactées, ce qui est une autre preuve de son adaptation à la vie dans des régions très sèches. Sa capacité à digérer la cellulose est élevée, grâce à son gros caecum et sa flore intestinale spécialisée. Ce processus digestif est similaire à celui des lagomorphes, où la nourriture passe deux fois dans le tube digestif : une première fois pour la digestion, puis une deuxième fois après la réingestion des fèces riches en nutriments. Ce comportement, appelé coprophagie, lui permet de récupérer des vitamines et des minéraux essentiels qui n'ont pas été absorbés lors du premier passage. La recherche de nourriture se fait principalement à l'aube et au crépuscule, lorsque les températures sont plus clémentes, ce qui lui permet d'éviter la chaleur intense du milieu de la journée.

Crédit photo: Alex Kantorovich - Zooinstitutes
La reproduction du cobaye halophile est un processus bien coordonné, adapté aux défis de son environnement. La saison de reproduction est fortement influencée par les conditions climatiques et la disponibilité de la nourriture, généralement s'étendant d'août à mars, ce qui coïncide avec la saison des pluies et la croissance végétale. Le système de reproduction est monogamique, une caractéristique rare chez les rongeurs, où un mâle et une femelle s'unissent pour la vie. Les couples passent beaucoup de temps ensemble, partageant un terrier et se déplaçant en tandem.
La gestation dure environ 77 jours, après quoi la femelle donne naissance à une portée de un à trois jeunes, avec une moyenne de deux. Les nouveaux-nés sont remarquablement précoces; ils naissent avec les yeux ouverts, couverts de fourrure et sont capables de courir et de se nourrir de plantes solides presque immédiatement après la naissance. Cette maturité précoce est une adaptation cruciale pour la survie dans un environnement riche en prédateurs. Les jeunes restent avec leurs parents pendant plusieurs semaines, apprenant à trouver de la nourriture et à échapper aux dangers. Le sevrage est rapide, se produisant environ trois semaines après la naissance. Les parents sont très protecteurs et coopèrent dans l'élevage des jeunes, le mâle gardant le terrier pendant que la femelle se nourrit, ou vice-versa. Les femelles atteignent la maturité sexuelle à environ 8 mois et les mâles à 10 mois. En raison du taux de mortalité élevé des jeunes, les femelles peuvent avoir deux ou trois portées par an pour assurer la continuité de l'espèce.
La longévité du cobaye halophile est relativement modeste et comparable à celle d’autres membres de la famille des caviidés. Dans la nature, son espérance de vie est estimée entre 5 et 7 ans, bien que de nombreux individus n’atteignent pas cet âge en raison de la prédation et des conditions environnementales difficiles. En captivité ou en conditions contrôlées, certains individus peuvent vivre plus longtemps, parfois jusqu’à 9 ou 10 ans.

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Le comportement du cobaye halophile est un mélange d'adaptations sociales et individuelles pour la survie. Contrairement à de nombreux rongeurs qui sont solitaires, le cobaye halophile est connu pour son comportement social monogame. Les couples restent ensemble pour la vie et sont souvent observés se déplaçant en tandem, ce qui renforce leur lien et leur permet de se protéger mutuellement. Ils sont actifs principalement à l'aube et au crépuscule, évitant ainsi la chaleur du jour et l'activité de certains de leurs prédateurs. Leur mode de déplacement est une combinaison de marche, de trot et de sauts puissants, une tactique d'évasion très efficace.
Les cobayes halophiles creusent des terriers, qui servent non seulement d'abris contre d'éventuelles menaces, mais aussi de refuges contre les conditions climatiques extrêmes, comme la chaleur du jour et le froid de la nuit. Ces terriers sont souvent simples, constitués d'un seul tunnel menant à une chambre de nidification, mais ils peuvent aussi être plus complexes, partagés avec d'autres couples ou même d'autres espèces.
La communication chez cette espèce est principalement basée sur des vocalises, notamment des cris d'alarme pour avertir le partenaire ou les jeunes d'un danger imminent, et des grognements pendant les interactions sociales. Ils utilisent également des signaux visuels et olfactifs pour marquer leur territoire et pour la cour. La monogamie et l'investissement parental élevé sont des traits comportementaux qui distinguent le cobaye halophile d'autres rongeurs et qui sont considérés comme des stratégies de survie dans un environnement hostile. La nature coopérative du couple est essentielle pour élever des jeunes vulnérables et pour maintenir le territoire, ce qui augmente les chances de survie.

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En raison de sa taille moyenne et de son mode de vie terrestre, le cobaye halophile est la proie potentielle de nombreux carnivores d’Amérique du Sud. Ses principaux prédateurs sont les renards sud-américains du genre Lycalopex, particulièrement communs dans les régions semi-arides. Les petits félins comme le chat de Geoffroy (Leopardus geoffroyi) et l’ocelot (Leopardus pardalis) constituent également des chasseurs redoutables, capables de surprendre ces rongeurs dans leur habitat buissonneux.
Les rapaces diurnes, tels que la buse aguia (Geranoaetus melanoleucus) ou le caracara huppé (Caracara plancus), représentent une menace constante, profitant de leur vision perçante pour repérer les individus à découvert. La stratégie défensive du cobaye halophile repose alors sur la vigilance, le camouflage et la fuite rapide.
Les jeunes sont particulièrement vulnérables, même face à des prédateurs de plus petite taille comme les serpents constricteurs ou les chouettes. La précocité des nouveau-nés constitue cependant un avantage, car ils peuvent courir peu de temps après la naissance et suivre leurs parents, réduisant ainsi leur exposition aux dangers.
L’homme représente également un prédateur indirect : dans certaines régions, l’espèce est chassée occasionnellement pour sa viande, bien que cela reste marginal par rapport aux menaces liées à la destruction de l’habitat. Les chiens domestiques constituent une autre source de pression, notamment dans les zones rurales où les terriers peuvent être fouillés.

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Le cobaye halophile n’est pas actuellement considéré comme globalement menacé et figure dans la catégorie "Préoccupation mineure" sur la Liste rouge de l'IUCN. Toutefois, certaines pressions régionales fragilisent ses populations.
La principale menace est la destruction et la fragmentation de son habitat, liée à l’expansion agricole, au surpâturage et à l’exploitation forestière dans le Gran Chaco. Ces transformations réduisent les zones de végétation naturelle nécessaires à son alimentation et à sa reproduction. Dans certaines régions, l’espèce est aussi chassée localement pour sa viande ou capturée de manière opportuniste, même si cette pratique reste marginale. Les chiens domestiques, fréquents dans les zones rurales, exercent également une pression prédatrice supplémentaire.
Face à ces menaces, la conservation du cobaye halophile repose avant tout sur la préservation de son habitat naturel. Des aires protégées du Paraguay, de Bolivie et d’Argentine abritent l’espèce, mais sa protection reste indirecte et pourrait nécessiter un suivi plus ciblé.

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L’histoire scientifique du cobaye halophile commence en 1876, lorsque l’entomologiste et zoologiste germano-argentin Hermann Burmeister en propose la description formelle dans les Proceedings of the Zoological Society of London. La localité-type se situe dans le sud-ouest de la province de Catamarca (Argentine), entre Totoralejos et Recreo. Initialement, cette espèce a été classée dans le genre Cavia, en raison de ses similitudes superficielles avec les cobayes domestiques. Cependant, des études ultérieures ont révélé des différences majeures, tant au niveau de sa morphologie que de son comportement, justifiant sa reclassification dans le genre Dolichotis. Ce genre, créé pour regrouper des espèces de rongeurs adaptées aux milieux ouverts et arides, inclut également le mara (Dolichotis patagonum), une espèce plus grande et plus connue. Les travaux de Burmeister ont jeté les bases de cette distinction, mais ce n’est qu’au XXe siècle que des analyses plus poussées ont confirmé la validité de ce genre.
Un débat taxonomique significatif a surgi au XXe siècle sur la distinction de Dolichotis salinicola. Starrett (1967) avait proposé de placer cette espèce dans le genre Pediolagus, distinct de Dolichotis. Cette proposition fut reprise par certains auteurs, mais le consensus a évolué. En 2020, une étude de l’American Society of Mammalogists (ASM) soutient la résurrection de Pediolagus pour le distinguer des maras patagoniens. Cependant, une publication de 2021 argumente pour une inclusion de nouveau au sein de Dolichotis, notamment pour résoudre des incohérences liées aux espèces fossiles (comme Dolichotis chapalmalense).
Aujourd’hui, la IUCN et le American Society of Mammalogists (ASM) maintiennent Dolichotis salinicola dans le genre Dolichotis, consolidant ainsi son statut actuel. Cette classification reflète une démarche prudente, gardant en vue la cohérence taxonomique entre espèces récentes et fossiles.
Contrairement à d’autres rongeurs largement répartis, le cobaye halophile ne présente pas une grande diversité de sous-espèces formellement reconnues. Les études taxonomiques disponibles indiquent que Dolichotis salinicola est relativement homogène sur l’ensemble de son aire de répartition, ce qui explique l’absence de subdivisions claires dans la nomenclature officielle.
Cependant, certains chercheurs ont suggéré l’existence de variations géographiques, liées principalement à la coloration du pelage et à la taille corporelle. Dans le nord du Paraguay et du sud de la Bolivie, les individus présentent un pelage légèrement plus sombre, tandis que dans les régions plus méridionales d’Argentine, les animaux tendent à être un peu plus clairs et plus petits. Ces différences restent toutefois considérées comme des adaptations locales plutôt que de véritables critères de différenciation taxonomique.
Il est possible que de futures analyses génétiques révèlent une structuration plus fine de la population et conduisent à la description de sous-espèces. Pour l’instant, la communauté scientifique conserve une approche prudente, préférant maintenir l’espèce comme taxon monotypique.
Nom commun | Cobaye halophile |
Autres noms | Mara nain Mara du Chaco |
English name | Chacoan mara |
Español nombre | Mara del Chaco Conejo de los palos |
Règne | Animalia |
Embranchement | Chordata |
Sous-embranchement | Vertebrata |
Classe | Mammalia |
Sous-classe | Theria |
Infra-classe | Eutheria |
Ordre | Rodentia |
Sous-ordre | Hystricomorpha |
Famille | Caviidae |
Sous-famille | Dolichotinae |
Genre | Dolichotis |
Nom binominal | Dolichotis salinicola |
Décrit par | Hermann Burmeister |
Date | 1876 |
Satut IUCN | ![]() |
* Liens internes
American Society of Mammalogists (ASM)
Liste Rouge IUCN des espèces menacées
Mammal Species of the World (MSW)
Système d'information taxonomique intégré (ITIS)
* Liens externes
Global Biodiversity Information Facility (GBIF)
* Bibliographie
Burmeister, H. (1876). "Descripción física de la República Argentina bajo los aspectos de su geología, orografía, hidrografía, climatología y producción orgánica." Imprenta de Pablo E. Coni, Buenos Aires.
Cabrera, A. (1961). "Catálogo de los mamíferos de América del Sur." Revista del Museo Argentino de Ciencias Naturales "Bernardino Rivadavia", 4(1): 1-307.
Redford, K. H., & Eisenberg, J. F. (1992). "Mammals of the Neotropics: The Southern Cone. Chile, Argentina, Uruguay, Paraguay." University of Chicago Press, Chicago.
Mares, M. A., & Ojeda, R. A. (1982). "Biogeographic patterns of South American mammals: An analysis of species distributions in ecogeographic regions." Special Publications, The Museum, Texas Tech University, 20: 1-132.
Tognelli, M. F., Mares, M. A., & Ojeda, R. A. (2001). "Systematics and distribution of the genus Dolichotis (Caviidae, Rodentia)." Mastozoología Neotropical, 8(2): 163-178.
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