Kulan turkmène (Equus hemionus kulan)
Le kulan turkmène (Equus hemionus kulan), sous-espèce de l'hémione, représente un élément emblématique de la biodiversité des steppes d'Asie centrale. Jadis largement répandu du nord du Caucase jusqu'à l'ouest de la Chine, cet équidé occupe désormais une aire de répartition considérablement réduite, se concentrant principalement au Turkménistan et, grâce à des réintroductions, au Kazakhstan. Classé comme étant en danger par l'IUCN, cet animal se distingue par une incroyable résilience face aux climats extrêmes de son habitat aride. Il joue un rôle écologique crucial en tant que grand herbivore, façonnant la végétation des paysages désertiques qu'il traverse. La conservation de cet ongulé est devenue une priorité pour maintenir l'intégrité des écosystèmes de steppes tempérées, témoignant de la fragilité de la mégafaune eurasiatique face aux pressions anthropiques modernes.
Crédit photo: Alex Kantorovich - Zooinstitutes
L'apparence physique du kulan turkmène reflète une adaptation millénaire aux conditions extrêmes des déserts froids et des steppes semi-arides. Cet équidé présente une silhouette intermédiaire entre celle du cheval domestique et de l'âne, affichant une élégance robuste caractérisée par des membres fins mais particulièrement musclés, conçus pour l'endurance et la vitesse sur des terrains accidentés ou sablonneux. Sa taille au garrot oscille généralement entre 108 et 126 centimètres, pour un poids variant de 200 à 260 kilogrammes, les mâles étant souvent légèrement plus massifs que les femelles. La tête est massive, dotée de longues oreilles, bien que plus courtes que celles de l'âne sauvage africain, et d'un museau capable de filtrer l'air poussiéreux.
Le pelage de cet ongulé subit des transformations saisonnières marquées pour répondre aux variations thermiques drastiques de son habitat. En été, la robe arbore une teinte ocre pâle ou brun rougeâtre qui lui permet de se fondre dans le paysage désertique, tandis que le ventre, le bout du nez et l'intérieur des membres restent d'un blanc crémeux, créant un contraste saisissant. L'hiver, le poil s'épaissit considérablement et devient plus grisâtre pour offrir une isolation thermique efficace contre les vents glaciaux des steppes. Une caractéristique distinctive de cette sous-espèce, comme chez les autres hémiones, est la présence d'une raie dorsale brun foncé qui court de la crinière, courte et dressée, jusqu'à la touffe de la queue. Contrairement aux chevaux, le kulan ne possède pas de toupet sur le front, et sa queue, qui se termine par un long pinceau de crins noirs, ressemble davantage à celle d'une vache ou d'un âne qu'à celle d'un cheval.
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CC-BY-NC (Certains droits réservés)Au Kazakhstan, la distribution de l'animal est inégale. Le bastion principal de l'espèce se situe au sein du parc national d'Altyn Emel, qui abrite la plus forte concentration d'individus. Un second noyau, plus modeste, évolue dans la réserve naturelle d'État de Barsa Kelmes. Par ailleurs, des groupes réduits subsistent à Andassay ainsi qu'à Ily Balkhash, tandis que la présence de l'équidé se limite à quelques spécimens isolés dans les zones d'Altyn Dala et d'Ustyurt.
La situation au Turkménistan marque un déclin préoccupant, notamment avec l'extinction confirmée de la population historique de Badhyz. Depuis 2015, aucune trace, observation visuelle ou capture par piège photographique n'a été enregistrée dans ce secteur, tout comme pour le groupe réintroduit à Meana Chaca qui ne donne plus signe de vie. La présence de l'espèce se cantonne désormais à quelques animaux dans la vallée de Tersakan (Gury Howdan) et dans la région de Kaplankyr, spécifiquement dans la zone tampon frontalière avec l'Ouzbékistan.
En Ouzbékistan, le kulan turkmène occupe le parc national d'Ustyurt Sud, aux abords du lac Sarykamush, ainsi que divers secteurs proches de la frontière turkmène, tels que Sukhoe Ozero, Uzunkui et Kulan Takyr. Des efforts de conservation actifs sont également en cours pour renforcer les effectifs : entre 2021 et 2022, des transferts ont été opérés depuis l'écocentre de Jeyran. Ces opérations ont permis de relâcher 13 individus dans la réserve de Saigachy et 35 autres dans celle de Sudochie-Akpetki, située dans la région d'Aralkum.
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CC-BY-NC-SA (Certains droits réservés)Le régime alimentaire du kulan turkmène est celui d'un herbivore généraliste et opportuniste, capable de tirer parti de la végétation pauvre et éparse typique des environnements xérophiles. Sa physiologie digestive est hautement spécialisée pour dégrader les fibres végétales coriaces que d'autres herbivores délaisseraient. Il se nourrit principalement de graminées, de carex et d'absinthes qui dominent la flore steppique, mais il n'hésite pas à consommer des plantes halophytes, riches en sel, abondantes dans les dépressions salines de son aire de répartition. Cette capacité à ingérer des végétaux à forte teneur saline est un atout majeur pour sa survie, lui permettant d'exploiter des niches écologiques inaccessibles à des espèces plus sensibles.
La recherche de nourriture occupe une grande partie de son temps d'éveil, l'animal parcourant quotidiennement de longues distances pour trouver des pâturages adéquats. Au printemps, lorsque la steppe reverdit, le kulan turkmène privilégie les pousses tendres et riches en nutriments pour reconstituer ses réserves corporelles épuisées par l'hiver. En saison sèche ou durant la période hivernale, il se rabat sur des broussailles ligneuses, des écorces et même des plantes épineuses, démontrant une plasticité alimentaire remarquable. L'accès à l'eau reste un facteur critique déterminant ses mouvements; bien qu'il puisse supporter une certaine déshydratation, il doit boire régulièrement, idéalement tous les deux ou trois jours. En été, il est capable de creuser des trous pouvant atteindre 60 centimètres de profondeur dans les lits de rivières asséchées pour atteindre la nappe phréatique, un comportement qui profite également à d'autres espèces animales dépendantes de ces sources d'eau temporaires.
Crédit photo: Alex Kantorovich - Zooinstitutes
Le cycle reproductif du kulan turkmène est étroitement synchronisé avec les saisons pour maximiser les chances de survie de la progéniture. La période de rut, marquée par une intense activité sociale, survient généralement à la fin du printemps ou au début de l'été, lorsque les ressources alimentaires sont les plus abondantes. Durant cette phase, les mâles dominants défendent avec agressivité leurs territoires et leurs harems de femelles contre les mâles rivaux, s'engageant dans des combats rituels incluant des morsures et des ruades spectaculaires. Une fois l'accouplement réussi, la gestation s'étend sur une période d'environ onze mois, une durée longue qui permet au foetus d'atteindre un stade de développement avancé avant la naissance.
Les mises bas ont lieu l'année suivante, principalement entre mai et juin, une période où la température est clémente et la végétation luxuriante. La femelle s'isole temporairement du groupe pour donner naissance à un unique ânon, qui pèse environ 25 kilogrammes à la naissance. Le nouveau-né est remarquablement précocé : il est capable de se tenir debout et de courir moins d'une heure après sa venue au monde, une nécessité vitale pour échapper aux prédateurs potentiels. Le lien maternel est extrêmement fort durant les premiers jours, la mère empêchant tout autre individu d'approcher son petit pour assurer l'imprégnation olfactive. Le sevrage s'effectue progressivement sur une période de 12 à 14 mois, bien que le jeune puisse commencer à brouter de l'herbe dès l'âge d'un mois. La maturité sexuelle est atteinte vers deux ou trois ans pour les femelles, tandis que les mâles doivent souvent attendre quatre ou cinq ans avant d'être assez forts pour conquérir un harem.
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All rights reserved (Tous droits réservés)Le kulan turkmène est un animal foncièrement grégaire dont la structure sociale repose sur une dynamique complexe variant selon les saisons et les ressources disponibles. L'unité de base est généralement le harem familial, composé d'un mâle adulte dominant, de plusieurs femelles et de leurs ânons de l'année. En parallèle, les jeunes mâles exclus ou n'ayant pas encore acquis de territoire forment des groupes de célibataires, souvent instables et hiérarchisés, où ils s'entraînent au combat en vue de futurs défis pour la dominance. En hiver, ces petites unités peuvent se regrouper pour former de vastes troupeaux comptant des centaines d'individus, une stratégie qui favorise la protection contre le froid et les prédateurs lors des migrations vers des zones d'hivernage plus clémentes.
D'un tempérament farouche et indomptable, cet équidé est connu pour sa vigilance constante. Il possède une ouïe et une vue excellentes, lui permettant de détecter une menace à grande distance. Lorsqu'un danger est repéré, le kulan turkmène préfère la fuite, pouvant atteindre des pointes de vitesse impressionnantes de 70 km/h et maintenir une allure soutenue sur de longues distances, distançant ainsi la plupart de ses poursuivants. Il n'est cependant pas uniquement fuyant; face à une menace directe pour les ânons, les adultes, en particulier le mâle, peuvent faire front et charger courageusement. Son activité est principalement diurne, avec des pics de pâturage le matin et en fin d'après-midi, tandis qu'il consacre les heures les plus chaudes de la journée au repos, souvent debout, en utilisant sa queue pour chasser les insectes parasites incessants.
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CC-BY-SA (Certains droits réservés)Dans son habitat naturel, le kulan turkmène adulte ne connaît que peu de rivaux capables de le terrasser, à l'exception notable du loup gris (Canis lupus), qui constitue son principal prédateur historique. Les loups opèrent généralement en meute pour isoler un individu, ciblant de préférence les animaux affaiblis, malades, âgés ou les jeunes ânons qui s'éloignent trop de la protection maternelle. La prédation exerce une pression sélective constante, favorisant la vigilance collective et la rapidité de fuite caractéristique de l'espèce. En hiver, lorsque la neige épaisse entrave la course des ongulés, les attaques de loups deviennent plus fréquentes et plus efficaces, ces derniers étant avantagés par leur légèreté relative sur le manteau neigeux.
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All rights reserved (Tous droits réservés)Au Kazakhstan, les kulans turkmène du parc national d'Altyn Emel prospèrent, mais les autorités de l'aire protégée estiment que la capacité d'accueil est atteinte (les critères de cette estimation n'étant pas disponibles). La population de Barsa Kelmes semble stable, mais demeure confinée à la zone de Kaska Kulan et ses trois puits artésiens. La capacité d'accueil limitée et le braconnage, notamment en dehors des aires protégées, constituent toujours une menace. Le long de la frontière sud avec l'Ouzbékistan et le Turkménistan, des clôtures empêchent les déplacements transfrontaliers. La situation de Kulan, au Turkménistan, s'est détériorée, le braconnage à l'intérieur comme à l'extérieur de l'aire protégée restant problématique. La population autochtone de l'aire strictement protégée de Badhyz est fonctionnellement éteinte. Le groupe restant de kulans à Gury Howdan est très réduit, présente des signes de consanguinité et ses perspectives d'expansion sont faibles. Dans la région de Kaplankyr, la présence de l'espèce semble se limiter à la zone de sécurité frontalière avec l'Ouzbékistan; en dehors de la clôture, les signes d'ongulés sauvages sont extrêmement rares. Des clôtures frontalières morcellent plusieurs aires protégées qui constituent ou constituaient l'habitat du kulan turkmène. La petite taille de la population, les clôtures frontalières, le changement climatique, les perturbations causées par les pêcheurs et le braconnage demeurent les principales menaces pour la conservation du kulan en Ouzbékistan.
Auteur: Meyer Christian
CC0 (Domaine public)Le kulan turkmène est un espèce en danger d'extinction. Il est actuellement classé dans la catégorie "En danger" (EN) sur la Liste rouge des espèces menacées de l'IUCN et est inclus à l'Annexe II de la CITES.
La majeure partie de la population vit à proximité des aires protégées. Cependant, certains individus effectuent des migrations saisonnières ou des déplacements sur de longues distances en dehors de ces aires protégées, phénomènes encore mal documentés et mal compris. La réintroduction de kulans du parc national d'Altyn Emel vers le sanctuaire d'Andassay a été interrompue et le statut et la localisation des animaux réintroduits restent largement inconnus en raison d'un manque de suivi post-relâcher. Deux nouveaux projets de réintroduction ont été lancés au Kazakhstan. En Ouzbékistan, des ânes ont été transférés vers les réserves de Saigachy et de Sudochie-Akpetki en 2021-2022.
Crédit photo: Alex Kantorovich - Zooinstitutes
L'histoire de la classification du kulan turkmène est un long récit scientifique marqué par des révisions constantes, reflétant la complexité de définir les frontières exactes au sein du genre Equus. La description originale de l'espèce Equus hemionus remonte à 1775, attribuée au naturaliste allemand Peter Simon Pallas, qui a observé ces animaux lors de ses expéditions en Russie et en Asie centrale. Pendant longtemps, la distinction entre les différentes populations d'ânes sauvages asiatiques est restée floue, les naturalistes se basant sur des variations morphologiques subtiles de taille et de couleur de robe pour proposer diverses classifications. Le kulan a souvent été considéré tantôt comme une espèce distincte, tantôt comme une simple variété géographique de l'hémione (Equus hemionus) ou du kiang (Equus kiang).
Au cours du XXe siècle, avec l'avènement de méthodes plus rigoureuses d'analyse craniométrique et plus tard génétique, la position taxonomique du kulan s'est précisée, bien que le débat ne soit jamais totalement clos. Il est aujourd'hui majoritairement reconnu comme une sous-espèce de l'hémione, spécifiquement désignée sous le taxon Equus hemionus kulan. Les travaux de révision taxonomique majeurs, notamment ceux de Groves et Mazák dans la seconde moitié du XXe siècle, ont aidé à structurer le groupe des hémiones en plusieurs sous-espèces distinctes, séparant le kulan turkmène de son cousin proche, l'onagre de Perse (Equus hemionus onager), et de l'hémione de Mongolie (Equus hemionus hemionus). Ces distinctions sont cruciales car elles dictent les stratégies de conservation : on ne peut protéger efficacement ce que l'on ne sait pas définir.
Cependant, l'histoire taxonomique récente est compliquée par les interventions humaines, notamment les réintroductions et les translocations d'animaux. Dans certaines réserves, des populations mixtes ont parfois été créées, brouillant les lignes génétiques historiques. De plus, des analyses moléculaires modernes continuent d'interroger la phylogénie du groupe. Certaines études suggèrent que la divergence génétique entre le kulan et l'onagre de Perse est très faible, alimentant la discussion sur la pertinence de maintenir deux sous-espèces distinctes ou de les regrouper au sein d'un même clade évolutif. Malgré ces débats académiques, l'IUCN maintient une distinction opérationnelle pour Equus hemionus kulan, reconnaissant son identité évolutive propre et la nécessité de gérer ses populations de manière spécifique au Turkménistan et au Kazakhstan, afin d'éviter la pollution génétique et de préserver l'adaptation locale unique de cette lignée historique.
| Nom commun | Kulan turmène |
| Autre nom | Kulan |
| English name | Turkmenian kulan |
| Español nombre | Kulan |
| Règne | Animalia |
| Embranchement | Chordata |
| Sous-embranchement | Vertebrata |
| Super-classe | Tetrapoda |
| Classe | Mammalia |
| Sous-classe | Theria |
| Infra-classe | Eutheria |
| Ordre | Perissodactyla |
| Famille | Equidae |
| Genre | Equus |
| Espèce | Equus hemionus |
| Nom binominal | Equus hemionus kulan |
| Décrit par | Colin Groves Vratislav Mazák |
| Date | 1967 |
Satut IUCN | ![]() |
* Âne sauvage de Mongolie
Âne sauvage de Mongolie (Equus hemionus hemionus)
* Âne sauvage de Syrie
Âne sauvage de Syrie (Equus hemionus hemippus)
* Onagre de Perse
Onagre de Perse (Equus hemionus onager)
* Onagre d'Inde
Onagre d'Inde (Equus hemionus khur)
* Liens internes
Liste Rouge IUCN des espèces menacées
Mammal Species of the World (MSW)
Système d'information taxonomique intégré (ITIS)
* Liens externes
Global Biodiversity Information Facility (GBIF)
* Bibliographie
Moehlman, P. D. (2002). Equids: Zebras, Asses, and Horses: Status Survey and Conservation Action Plan. IUCN/SSC Equid Specialist Group, Gland, Switzerland and Cambridge, UK.
Groves, C. P. (1974). Horses, Asses and Zebras in the Wild. Ralph Curtis Books.
Pereladova, O. B., et al. (1999). "Reintroduction of the Kulan (Equus hemionus kulan) into the arid zone of Turkmenistan and Kazakhstan". In Reintroduction News.
Heptner, V. G., Nasimovich, A. A., & Bannikov, A. G. (1988). Mammals of the Soviet Union, Volume I: Artiodactyla and Perissodactyla. Smithsonian Institution Libraries and National Science Foundation.
Kaczensky, P., et al. (2008). "Resource selection by sympatric wild equids in the Mongolian Gobi". Journal of Applied Ecology.
Kaczensky, P., Lkhagvasuren, B., Pereladova, O., Hemami, M. & Bouskila, A. (2020). Equus hemionus. The IUCN Red List of Threatened Species 2020


