Loup à crinière (Chrysocyon brachyurus)
Le loup à crinière (Chrysocyon brachyurus) est un canidé unique originaire d’Amérique du Sud, principalement présent dans les régions ouvertes du Brésil, du Paraguay, de la Bolivie, de l’Argentine et du Pérou. Il ne s’agit ni d’un loup véritable, ni d’un renard, bien qu’il présente des caractéristiques communes aux deux groupes. Reconnaissable à ses longues pattes, son pelage roux et sa crinière noire érectile, il incarne une spécialisation écologique remarquable des savanes sud-américaines. Il est l'unique représentant du genre Chrysocyon. Son statut particulier au sein de la famille des Canidae et son apparence atypique en font un sujet d’étude fascinant pour les chercheurs en biologie évolutive et en écologie.

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Le loup à crinière se distingue par une morphologie singulière qui lui confère une allure unique parmi les canidés. Mesurant entre 90 cm et 1,2 m de long (hors queue) pour une hauteur au garrot de 75 à 90 cm, il pèse en moyenne entre 20 et 30 kg. Sa silhouette élancée est soutenue par de très longues pattes, les plus longues proportionnellement parmi les canidés, une adaptation aux hautes herbes des savanes ouvertes dans lesquelles il évolue.
Son pelage est majoritairement roux orangé, avec une crinière dorsale noire qui peut se redresser en cas d’alerte, lui donnant une apparence plus imposante. La queue est courte et touffue, blanche à son extrémité. Sa tête allongée, ses oreilles grandes et dressées, ainsi que ses yeux relativement petits, renforcent sa ressemblance partielle avec un renard.
Cette morphologie particulière résulte d’une évolution indépendante, et non d’un croisement ou d’une ascendance commune avec les loups ou les renards. Les membres fins et musclés sont adaptés à la course et au déplacement sur de longues distances, tandis que les griffes non rétractiles témoignent de son appartenance aux canidés. Son odorat est bien développé, utilisé autant pour la chasse que pour la communication territoriale. Cette structure corporelle en fait un animal gracieux et agile.

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Le loup à crinière se trouve dans les prairies et broussailles d'Amérique du Sud, notamment au Brésil, au Paraguay, en Argentine, au Pérou et en Bolivie. Sa répartition actuelle couvre près de cinq millions de km², dont 72 % au Brésil, marquant une augmentation par rapport aux estimations antérieures, potentiellement due à la fois à une réelle expansion et à une meilleure documentation.
Cependant, malgré cette apparente augmentation, la situation est plus nuancée. Au Brésil, l'espèce s'est déplacée vers des zones dégradées par la déforestation, notamment dans l'arc amazonien et le sud-est. Ces nouvelles observations, bien que dispersées, suggèrent une capacité d'adaptation du loup à crinière à des habitats perturbés, mais la stabilité de ces populations reste incertaine. En Argentine, une contraction de son aire de répartition a été observée dans le sud, tandis qu'au Paraguay, sa présence est discontinue. En Uruguay, l'espèce est devenue rare, avec des observations sporadiques.
Des modélisations récentes au Brésil révèlent que sur une aire de répartition potentielle de 2 815 061 km², seule une infime partie (0,4 %) offre une forte probabilité de présence. Cela est préoccupant et reflète l'impact croissant de la déforestation du cerrado pour l'agriculture et l'élevage. Bien que le loup à crinière puisse survivre dans des zones mixtes, les monocultures et pâturages intensifs lui sont défavorables, indiquant une rétraction de son habitat de prédilection.

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Le loup à crinière est un omnivore au régime alimentaire particulièrement varié, adapté à son environnement de savane et de cerrado. Contrairement à la plupart des canidés de grande taille, il consomme une grande proportion de végétaux, principalement des fruits. L’un des éléments clés de son alimentation est le fruit du lobeira (Solanum lycocarpum), aussi appelé "fruit du loup", riche en eau et en nutriments. Il joue un rôle écologique central dans la dispersion des graines de cette plante.
Outre les fruits, le loup à crinière capture de nombreux petits vertébrés : rongeurs, petits oiseaux, amphibiens, reptiles, ainsi que des insectes, notamment des coléoptères et des orthoptères. Il peut aussi se nourrir d’œufs, de mollusques et, à l’occasion, de charognes.
Il chasse principalement en solitaire, utilisant sa grande ouïe pour localiser ses proies dans les herbes. Lorsqu’une proie est détectée, il la surprend par un bond vertical ou une attaque rapide. L’aspect opportuniste de son régime alimentaire reflète une adaptation aux saisons : pendant la saison sèche, les fruits sont plus rares, et l’animal consomme davantage de proies animales; en saison des pluies, les fruits deviennent dominants. Il boit relativement peu, trouvant la majeure partie de l’eau dont il a besoin dans les végétaux. Cette stratégie alimentaire, souple et opportuniste, explique en partie sa résilience face aux perturbations de l’habitat, bien que les activités humaines modifient souvent la disponibilité de ses ressources.

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La reproduction du loup à crinière est marquée par un cycle annuel bien défini et des comportements relativement discrets. L’espèce est généralement monogame : un mâle et une femelle forment un couple stable occupant un même territoire, bien qu’ils passent la majeure partie de leur temps séparément. La période de reproduction se situe entre avril et juin, principalement pendant l’automne austral. L’oestrus de la femelle dure quelques jours, durant lesquels les accouplements ont lieu.
Après une gestation d’environ 60 à 65 jours, la femelle met bas entre deux et cinq petits, en général dans une tanière bien dissimulée, souvent creusée dans des touffes d’herbe dense ou utilisée après d'autres animaux. Les petits naissent aveugles et totalement dépendants, pesant environ 400 à 500 grammes. L’allaitement dure plusieurs semaines, et le sevrage intervient généralement vers l’âge de 8 à 10 semaines. Le mâle participe parfois à l’élevage, notamment en apportant de la nourriture à la femelle ou aux jeunes. Vers 6 mois, les jeunes commencent à accompagner leur mère à l’extérieur, puis deviennent progressivement indépendants. La maturité sexuelle est atteinte entre 1 et 2 ans.
La reproduction est fortement influencée par les conditions environnementales : une disponibilité réduite de ressources peut entraîner l’absence de reproduction certaines années. En captivité, le loup à crinière se reproduit assez bien, ce qui soutient les programmes de conservation ex situ.
Le loup à crinière vit en moyenne entre 12 et 15 ans en captivité, où il bénéficie de soins vétérinaires et d'une alimentation régulière. Dans la nature, sa longévité est souvent plus courte, généralement autour de 6 à 10 ans, en raison des nombreux facteurs de mortalité : prédation sur les jeunes, maladies, collisions routières et perturbations humaines. La survie jusqu'à un âge avancé dépend fortement des conditions environnementales et de la disponibilité des ressources. Les individus protégés dans des réserves naturelles ou des parcs nationaux bénéficient souvent d’une espérance de vie supérieure à ceux évoluant en zones agricoles fragmentées.

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Le loup à crinière est un animal essentiellement solitaire, crépusculaire et territorial. Il est actif principalement au lever et au coucher du soleil, périodes durant lesquelles il chasse et explore son territoire. Contrairement à d'autres canidés sociaux, il n'évolue pas en meute. Chaque individu ou couple reproducteur dispose d’un territoire pouvant atteindre 30 km², balisé à l’aide d’urine et de fèces riches en composés chimiques odorants. Ces marquages permettent de signaler la présence à d’autres congénères et d’éviter les confrontations.
Le loup à crinière communique également par vocalisations, notamment un aboiement grave appelé "roar-bark", utilisé pour avertir ou signaler sa position. Il montre une certaine tolérance spatiale vis-à-vis de ses congénères, mais des affrontements peuvent survenir si les ressources sont rares ou si les territoires se chevauchent. Sa démarche, lente et précautionneuse, contraste avec ses accélérations soudaines lors de la chasse. Il est généralement discret et évite les zones trop perturbées par l’homme, bien qu’on l’observe parfois en périphérie des zones agricoles ou des routes. Son comportement est flexible et opportuniste, ce qui l’aide à survivre dans des environnements fragmentés.

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Le loup à crinière, en tant que grand canidé solitaire, est relativement peu exposé à la prédation naturelle à l’âge adulte. Son allure imposante, sa vigilance et sa mobilité en font une proie difficile pour les grands prédateurs. Cependant, les jeunes, en particulier les nouveau-nés et les juvéniles, peuvent être vulnérables à des prédateurs tels que les félins (notamment le puma) et les gros rapaces. Les chiens errants peuvent aussi représenter un danger direct, en particulier via la transmission de maladies infectieuses comme la maladie de Carré ou la rage. La fragmentation de l’habitat accroît les risques de prédation indirecte en forçant les individus à traverser des zones exposées. Dans les aires protégées, les risques de prédation sont réduits, ce qui favorise la conservation locale de l’espèce.

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Le loup à crinière est confronté à quatre menaces majeures qui mettent en péril ses populations à travers son aire de répartition : la perte et l'altération de l'habitat, la persécution humaine, les accidents de la route et les maladies transmises par les animaux domestiques.
La conversion intensive des habitats naturels en terres agricoles et pâturages est la principale cause de dégradation et de fragmentation, isolant les sous-populations et les rendant plus vulnérables. Cette fragmentation s'accompagne souvent d'une augmentation du trafic routier, entraînant un nombre alarmant de décès. Au Brésil et en Argentine, les collisions routières sont une menace majeure, pouvant mener à l'extinction locale de petites populations. Les conditions climatiques extrêmes, comme les sécheresses et les incendies, exacerbent ce problème en forçant les loups à parcourir de plus longues distances pour trouver des ressources, augmentant ainsi les risques d'accidents.
La persécution humaine est une menace directe. Les loups à crinière sont chassés, piégés et tués en raison de croyances culturelles, de la méconnaissance de l'espèce, du trafic illégal et des conflits liés à la prédation du bétail. Au Brésil et au Paraguay, ils sont souvent blâmés pour la perte de volailles, ce qui alimente une pression de chasse importante.
Enfin, les maladies et parasites transmis par les chiens domestiques représentent un risque croissant. La coexistence de plus en plus fréquente des loups à crinière avec les chiens dans des environnements perturbés favorise la transmission d'agents pathogènes mortels comme le parvovirus, la maladie de Carré et la leishmaniose, impactant gravement la santé et la survie des populations sauvages.

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Le loup à crinière est une espèce répertoriée en Annexe II de la CITES et classée dans la catégorie "Quasi-menacé" (NT) dans la Liste rouge des espèces menacées de l'IUCN.
Au Brésil, les actions de conservation du loup à crinière se focalisent sur la sensibilisation du public, la prévention des conflits et la vaccination des chiens domestiques pour réduire la transmission de maladies. La réduction des victimes de la route est aussi une préoccupation majeure.
Un plan d'action issu d'un atelier de 2005 guide ces efforts, abordant la gestion de l'habitat, le statut de l'espèce, l'éducation environnementale, la conservation en captivité et la dynamique des populations. Ce plan a conduit à des stratégies nationales au Brésil et en Argentine. Le gouvernement brésilien a d'ailleurs reconnu un groupe consultatif technique pour l'aider à mettre en oeuvre son plan national. Un groupe de travail continental a également été créé par l'IUCN pour coordonner la recherche et les stratégies à l'échelle de l'aire de répartition.
En Argentine, le Grupo Argentino Aguará Guazú (GAAG) pilote la conservation du loup à crinière, regroupant diverses institutions. Le GAAG a organisé des ateliers pour cartographier les menaces, prioriser les actions et élaborer des stratégies d'éducation. Des projets ciblés et des enquêtes auprès des éleveurs visent à mieux comprendre l'espèce et à changer les perceptions négatives, améliorant ainsi la coexistence entre l'homme et le loup à crinière.

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L'histoire taxonomique du loup à crinière est particulièrement intéressante car, malgré son nom et son apparence, il n'est ni un vrai loup ni un vrai renard. Il représente une lignée évolutive distincte au sein de la famille des Canidae.
La première mention notable de l'animal revient au naturaliste espagnol Félix de Azara en 1801, qui le désigna sous le nom paraguayen "Agouara Gouazou". C'est en 1815 que le zoologiste allemand Johann Karl Wilhelm Illiger lui a donné son nom scientifique formel original : Canis brachyurus. Pendant un temps, en raison de similitudes morphologiques, il a été classé à tort dans les genres Canis (loups) et Vulpes (renards). Cependant, en 1839, le naturaliste britannique Charles Hamilton Smith a reconnu l'unicité de cette espèce et a créé un genre à part entière pour elle : Chrysocyon, signifiant "chien doré" en grec. Le nom binominal est donc devenu Chrysocyon brachyurus.
Les études génétiques modernes ont confirmé que le loup à crinière est bien le seul représentant de son genre, Chrysocyon. Elles ont également révélé que son plus proche parent vivant n'est pas le loup gris, mais le chien des buissons (Speothos venaticus), un autre canidé sud-américain. Cette relation est plus éloignée avec d'autres canidés sud-américains. Des fossiles attribuables au genre Chrysocyon ont même été trouvés en Amérique du Nord, suggérant une origine plus ancienne de cette lignée.

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Nom commun | Loup à crinière |
English name | Maned wolf |
Español nombre | Aguará guazú |
Règne | Animalia |
Embranchement | Chordata |
Sous-embranchement | Vertebrata |
Classe | Mammalia |
Sous-classe | Theria |
Infra-classe | Eutheria |
Ordre | Carnivora |
Sous-ordre | Caniformia |
Famille | Canidae |
Genre | Chrysocyon |
Nom binominal | Chrysocyon brachyurus |
Décrit par | Johann Karl Wilhelm Illiger |
Date | 1815 |
Satut IUCN | ![]() |
* Liens internes
Liste Rouge IUCN des espèces menacées
Système d'information taxonomique intégré (ITIS)
* Liens externes
* Bibliographie
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