Le suni de Zanzibar (Nesotragus moschatus), petite antilope discrète de la famille des bovidés, vit principalement dans les forêts denses et les fourrés de l'Afrique orientale, en particulier sur l'île de Zanzibar. Connu pour sa taille minuscule et ses habitudes furtives, le suni est un exemple fascinant d’adaptation aux environnements boisés. Malgré son apparence fragile, cette antilope manifeste une remarquable résilience, capable de survivre dans des habitats fragmentés, souvent en marge des zones habitées par l’homme. Peu étudié comparé à d'autres antilopes, il demeure un sujet d’intérêt pour les zoologistes et les écologistes, qui y voient une espèce sentinelle révélant l’état de santé des écosystèmes forestiers de la région.
Le suni de Zanzibar est l’un des plus petits représentants de la famille des bovidés, mesurant à peine 30 à 43 centimètres au garrot et pesant entre 4,5 et 6 kilogrammes. Cette petite taille constitue un avantage adaptatif majeur, lui permettant de se faufiler aisément dans la végétation dense de la forêt. Le mâle se distingue par la présence de cornes droites et pointues, longues d’environ 8 à 13 centimètres, tandis que la femelle en est dépourvue. Le suni présente également une courte queue de teinte plus claire à l’extrémité.
Sa robe est généralement brun-roux, plus foncée sur le dos et plus claire sur les flancs et le ventre. Le pelage est court, doux et uniforme. Sa tête est relativement large avec des yeux noirs brillants, surmontés de glandes préorbitales bien développées, qu’il utilise pour marquer son territoire. Les pattes fines et musclées sont bien adaptées à la course rapide et aux déplacements furtifs dans les sous-bois. Les sabots sont étroits, adaptés à une locomotion discrète sur un sol souvent recouvert de feuilles mortes. Son ouïe très fine et son odorat performant compensent une vue relativement faible. Cette morphologie générale témoigne d’une spécialisation poussée à la vie en milieu forestier, où la discrétion et l’agilité sont des atouts majeurs pour éviter les prédateurs et trouver de la nourriture.
Le suni de Zanzibar était autrefois largement répandu dans les forêts et les fourrés des régions côtières et de l'arrière-pays, du Kenya au KwaZulu-Natal en Afrique du Sud vers 1900. Au Kenya, il est présent au nord jusqu'au mont Kenya et aux Aberdares, et, le long de la côte, jusqu'aux forêts de Boni-Dodori, sa limite sud de répartition se situe autour du lac Sainte-Lucie, dans le nord-est du KwaZulu-Natal. Il est probable qu'il soit également présent au Swaziland, bien que sa présence ne soit pas confirmée. Il n'existe aucune mention confirmée de Zambie. Observé à Zanzibar et dans certaines îles adjacentes (Mafia et Chapani, la localité type et introduit sur l'île de Mnemba), mais pas à Pemba. Introduit sur l'île Rubondo dans le lac Victoria dans les années 1960.
Le suni de Zanzibar est un habitant des forêts et fourrés côtiers, des fourrés secs à feuilles caduques, des forêts de montagne jusqu'à 2 700 m d'altitude et d'autres zones à sous-bois dense, il bénéficie probablement, dans certaines zones, de l'expansion des fourrés secondaires résultant de l'activité humaine (par exemple à Zanzibar) et colonise volontiers les forêts dégradées.
Le régime alimentaire du suni de Zanzibar est essentiellement composé de végétaux tendres, qu’il sélectionne avec une grande minutie. Herbivore strict, il consomme principalement des feuilles, des bourgeons, des fruits tombés, des jeunes pousses et parfois des champignons. Il est aussi friand de certaines fleurs et de jeunes tiges qu’il récolte à hauteur de museau, sans nécessiter de grimper ou de se dresser. Son alimentation varie selon la saison et la disponibilité des ressources. Durant la saison sèche, le suni de Zanzibar peut concentrer son alimentation sur les feuillages persistants et les fruits secs, tandis que la saison des pluies lui offre un éventail plus riche de jeunes végétaux.
Le suni de Zanzibar s’alimente principalement à l’aube et au crépuscule, périodes durant lesquelles la forêt est plus fraîche et moins fréquentée par les prédateurs. Il boit rarement, tirant la majorité de l’eau dont il a besoin de sa nourriture, une capacité précieuse dans les environnements où les points d’eau peuvent être rares ou temporairement inaccessibles. Opportuniste mais sélectif, il adapte ses habitudes alimentaires à son environnement immédiat, montrant une certaine flexibilité écologique. Ce comportement alimentaire, en apparence simple, est en réalité le fruit d’une évolution fine qui lui permet de survivre dans des forêts secondaires, souvent soumises à l’influence humaine.
La reproduction du suni de Zanzibar présente des caractéristiques communes aux antilopes de petite taille vivant en forêt. Espèce polygame, le mâle dominant défend un territoire qui englobe généralement les aires de déplacement de plusieurs femelles, qu’il tente de monopoliser pour la reproduction. Il utilise ses glandes préorbitales pour marquer son territoire et repousser les intrus. La saison de reproduction ne suit pas de cycle strictement défini et peut avoir lieu toute l’année, bien qu’un pic soit souvent observé pendant ou juste après la saison des pluies, quand les ressources alimentaires sont abondantes.
La gestation dure en moyenne cinq à six mois. La femelle donne naissance à un seul petit, qu’elle cache dans la végétation dense pendant plusieurs semaines. Ce comportement de cache est essentiel à la survie du nouveau-né, qui reste immobile et silencieux pour échapper aux prédateurs. La mère revient régulièrement l’allaiter, tout en évitant de s’attarder trop longtemps près de lui pour ne pas attirer l’attention. Le sevrage intervient vers trois à quatre mois, mais le jeune reste généralement à proximité de sa mère jusqu’à ce qu’il atteigne sa maturité sexuelle, vers six à huit mois pour les femelles et un peu plus tard pour les mâles. Cette stratégie reproductive, bien que discrète et de faible rendement (un seul petit à la fois), s’avère efficace dans un environnement où la discrétion prime sur la prolificité.
Le suni de Zanzibar a une espérance de vie relativement courte, comme beaucoup de petites antilopes. En milieu naturel, il vit généralement entre 8 et 10 ans, bien que cette durée puisse être réduite en raison des pressions prédatrices et des menaces humaines. En captivité, où il bénéficie de soins vétérinaires réguliers et d’un environnement protégé, il peut atteindre jusqu’à 13 ans. Sa longévité dépend fortement de la qualité de son habitat, de l’abondance de nourriture et du niveau de stress auquel il est exposé. Les jeunes sont particulièrement vulnérables durant leurs premières semaines de vie, ce qui influence également les taux de survie à long terme dans les populations sauvages.
Le suni de Zanzibar adopte un mode de vie principalement crépusculaire et nocturne, bien qu’il puisse être actif durant les premières heures du jour. Très discret, il vit généralement en solitaire ou en petits groupes familiaux, souvent composés d’un mâle et d’une ou deux femelles accompagnées de leur progéniture.
Territorial, le mâle défend vigoureusement son domaine, qu’il délimite grâce à des dépôts de sécrétions glandulaires et des frottements de cornes contre la végétation. Ce territoire est relativement petit, généralement bien couvert et riche en ressources alimentaires. Le suni évite les confrontations directes, préférant fuir en cas de danger. Sa fuite est rapide, en zigzag, et souvent accompagnée de bonds soudains pour semer ses poursuivants. Lorsqu’il est surpris, il peut rester figé un moment, se confondant avec le sol couvert de feuilles, grâce à sa coloration. Son comportement de camouflage est renforcé par son habitude de se déplacer lentement et silencieusement.
Il communique avec ses congénères par des signaux olfactifs, posturaux et sonores, notamment des reniflements ou de brefs sifflements d’alerte. Bien que peu vocal, il émet parfois des sons en situation de stress. Sa discrétion et son mode de vie furtif rendent son observation difficile dans la nature, d’où le faible nombre d’études comportementales approfondies. Néanmoins, ce comportement adaptatif joue un rôle clé dans sa survie dans les forêts menacées par l’activité humaine et la fragmentation des habitats.
En tant que petite antilope forestière, le suni de Zanzibar est vulnérable à de nombreux prédateurs terrestres et aériens. Parmi les principaux figurent les félins tels que le serval (Leptailurus serval), le chat doré africain (Caracal aurata) et le léopard (Panthera pardus), bien que ce dernier soit devenu rare sur l’île de Zanzibar.
Les mangoustes et les genettes représentent également des menaces, en particulier pour les jeunes et les nouveau-nés cachés dans la végétation. Les rapaces, comme les aigles couronnés (Stephanoaetus coronatus) sont capables de capturer les individus adultes grâce à leur puissance et leur précision de chasse.
Pour pallier ces risques, le suni de Zanzibar s’est spécialisé dans des comportements d’évitement : il reste immobile en cas de danger, se faufile dans les broussailles et adopte des horaires d’activité réduisant l’exposition aux prédateurs. Toutefois, ces stratégies ont leurs limites face à la pression croissante des activités humaines, et la survie de cette espèce dépendra largement de la protection de ses habitats et de la régulation des pratiques de chasse locales.
Le suni de Zanzibar est une espèce très résiliente qui supporte généralement une pression de chasse modérément élevée, bien que la chasse excessive ait probablement réduit ses effectifs sur une grande partie de son aire de répartition au Kenya, et qu'une chasse excessive localisée entraîne de faibles densités dans des zones telles que les abords immédiats des villages. La perte d'habitat due à l'expansion de l'agriculture et de l'habitat, ainsi que la chasse pratiquée par les braconniers et les chiens errants ont éliminé le suni d'une grande partie de son ancienne aire de répartition en Afrique du Sud, où il est désormais une espèce rare. Il est également menacé par la réduction du couvert arbustif causée par l'augmentation du nombre de nyala (Tragelaphus angasii) dans certaines zones protégées et fermes à gibier privées.
CONSERVATION
Le suni de Zanzibar n'est pas considéré comme une espèce menacée. Il est inscrit dans la catégorie "Préoccupation mineure" (LC) sur la Liste rouge de l'IUCN, et n’apparaît actuellement sur aucune annexes de la CITES.
D'importantes populations protégées se trouvent dans des zones telles que les parcs nationaux d'Aberdares et du Mont Kenya (Kenya), d'Udzungwa et de Selous (Tanzanie), de Lengwe (Malawi), de Maputo (Mozambique) et de Tembe, ainsi que de Mkuzi et de Ndumu (Afrique du Sud). En 1995, un total de 39 sunis élevés en captivité ont été relâchés dans une zone de brousse dense au nord-est du parc national Kruger, considérée comme un habitat propice, mais au début de 1998, rien ne prouvait que cette réintroduction ait été réussie.
Le suni de Zanzibar (Nesotragus moschatus) appartient à la sous-famille des Antilopinae et unique représentant du genre Nesotragus. L'espèce fut décrite scientifiquement pour la première fois en 1846 par le naturaliste suédois Anders Johan von Düben. Cette description a été publiée dans les "Öfversigt af Kongl. Vetenskaps-Akademiens Förhandlingar, volume 3, numéro 7, page 221".
Concernant sa classification, des études récentes en génétique moléculaire ont conduit à une réévaluation de son placement taxonomique. Bien que traditionnellement classé dans le genre Neotragus, le suni de Zanzibar est désormais souvent placé dans le genre Nesotragus, en raison de différences génétiques significatives avec d'autres espèces du genre Neotragus.
Au sein de l'espèce Nesotragus moschatus, plusieurs sous-espèces ont été reconnues historiquement dont quatre sont généralement acceptées :
Von Düben, G. (1846). Öfversigt af Kongliga Svenska Vetenskaps-Akademiens Förhandlingar, 3, 207.
Kingdon, J. (1997). The Kingdon Field Guide to African Mammals. Academic Press.
Nowak, R. M. (1999). Walker's Mammals of the World (6th ed.). Johns Hopkins University Press.
Kirk, J. (1865). Description of a new species of Cephalophus from East Africa. Proceedings of the Zoological Society of London, 1864, 649-650.
Pagenstecher, H. A. (1885). Beiträge zur Kenntniss der Säugethierfauna des Bismarck-Archipels. Verhandlungen des Naturhistorisch-Medizinischen Vereins zu Heidelberg, 3(3), 271-288.
Thomas, O. (1898). On some new mammals from East Africa. Annals and Magazine of Natural History, 7(1), 315-323.