Le genre Odocoileus regroupe deux espèces emblématiques de cervidés. Ces mammifèresongulés, originaires d'Amérique du Nord, d'Amérique Centrale et du Nord de l'Amérique du Sud, jouent un rôle écologique primordial dans leurs vastes aires de répartition. Le nom générique, Odocoileus, fut attribué par le naturaliste Constantine Samuel Rafinesque en 1832. Ce terme provient d'une contraction des racines grecques odonto- (dent) et koilos (creux), faisant possiblement référence à des caractéristiques dentaires ou aux cavités dans le crâne. Ces animaux se caractérisent par un dimorphisme sexuel marqué, notamment par la présence de bois caducs chez les mâles. Ils présentent une formidable adaptabilité à des habitats très variés, allant des forêts boréales aux zones désertiques et tropicales.
Les espèces formant le genre Odocoileus **Source photos**
TAXONOMIE
L'histoire taxonomique du genre Odocoileus est un excellent exemple de l'évolution des sciences naturelles, passant d'une classification morphologique simple à une systématique complexe enrichie par la génétique.
Initialement, le cerf de Virginie (Odocoileus virginianus), l'espèce la plus largement distribuée, fut d'abord regroupé avec les cerfs de l'Ancien Monde sous le genre générique Cervus. Cette classification, basée sur des observations morphologiques générales, reflétait une vision peu différenciée de la famille des cervidés. Les premiers naturalistes ont ainsi placé le cerf de Virginie aux côtés du cerf élaphe ou d'autres espèces eurasiennes. C'est le naturaliste américain Constantine Samuel Rafinesque qui, en 1832, a opéré une distinction fondamentale. En reconnaissant des caractéristiques distinctives chez les cerfs du Nouveau Monde, il a érigé le genre Odocoileus, marquant la séparation de ces espèces des Cervus et le début de leur reconnaissance comme un groupe évolutif distinct. Cette étape a posé les bases de la taxonomie moderne du genre, bien qu'à l'époque, les critères étaient encore majoritairement anatomiques et géographiques.
À mesure que l'exploration du continent américain progressait, de nombreuses variations régionales des deux espèces reconnues (Odocoileus virginianus et Odocoileus hemionus) ont été découvertes et décrites. Cette période a été caractérisée par une prolifération de sous-espèces, souvent définies sur des différences subtiles de taille, de coloration du pelage, ou de forme des bois, reflétant les adaptations locales aux divers habitats (forêts, montagnes, déserts, îles). Par exemple, le cerf de Virginie compte un nombre impressionnant de sous-espèces (plus d'une trentaine reconnues historiquement), témoignant de sa vaste répartition et de sa grande plasticité morphologique. La classification devenait alors très fragmentée, et la distinction entre les espèces principales, bien qu'établie, était mise à l'épreuve par la zone d'hybridation naturelle entre le cerf de Virginie et le cerf mulet, en particulier dans certaines régions de l'Ouest de l'Amérique du Nord.
Depuis la fin du XXe siècle, l'avènement des techniques de phylogénie moléculaire (analyse de l'ADN mitochondrial et nucléaire) a profondément remodelé la compréhension des liens de parenté au sein du genre Odocoileus. Ces études génétiques ont permis de clarifier les relations évolutives, non seulement entre les deux espèces reconnues, mais aussi au sein des nombreuses sous-espèces.
Les analyses moléculaires ont majoritairement soutenu la validité du genre et des deux espèces principales. Cependant, elles ont souvent révélé que de nombreuses sous-espèces, définies uniquement par des critères morphologiques, n'étaient pas des lignées génétiquement distinctes ou monophylétiques. Ces recherches ont eu plusieurs impacts majeurs :
Réduction de la validité des sous-espèces : De nombreux auteurs suggèrent désormais que le nombre réel de sous-espèces génétiquement significatives est bien inférieur aux descriptions initiales, recommandant des regroupements pour mieux refléter l'histoire évolutive.
Statut de Odocoileus hemionus : La génétique a confirmé l'appartenance claire des différents groupes de cerfs mulets (y compris le cerf à queue noire) à une seule lignée, renforçant le statut d'espèce unique malgré les variations morphologiques importantes.
Relations au sein des Odocoileinae : Les travaux phylogénétiques placent le genre Odocoileus fermement au sein de la sous-famille des Odocoileinae (les cerfs du Nouveau Monde), confirmant sa divergence précoce d'avec les Cervinés (cerfs de l'Ancien Monde), une hypothèse déjà formulée par Rafinesque.
En conclusion, l'histoire taxonomique d'Odocoileus est une transition réussie d'une taxonomie descriptive à une systématique évolutive, où les données génétiques modernes continuent de raffiner notre compréhension de la biodiversité et des unités de conservation au sein de ce groupe important de mammifères.
LES ESPÈCES
Le genre Odocoileus est classiquement reconnu pour contenir deux espèces principales, bien que leur systématique au niveau des sous-espèces soit notoirement complexe et sujette à débat, en particulier pour le cerf de Virginie, qui détient le record du nombre de sous-espèces reconnues pour un mammifère nord-américain.
*Cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) : Également appelé Cerf à queue blanche, cette espèce se distingue par la couleur blanche de la face inférieure de sa queue, qu'elle lève comme un signal d'alarme. Sa morphologie est extrêmement variable selon sa distribution géographique, allant de petits individus dans les régions tropicales (comme la sous-espèce des Keys en Floride) à des cerfs plus imposants dans le Nord. Le cerf de Virginie est le plus répandu des cervidés américains, son aire s'étendant du Sud du Canada jusqu'à la Bolivie et le Nord-Est du Brésil.
*Cerf mulet (Odocoileus hemionus) : Il est facilement reconnaissable à ses grandes oreilles, qui rappellent celles d'un mulet, d'où son nom commun. Son aire de répartition est plus limitée que celle du cerf de Virginie, couvrant principalement l'Ouest de l'Amérique du Nord, y compris le Sud-Ouest du Canada, l'Ouest des États-Unis et le Nord-Ouest du Mexique. Une de ses caractéristiques distinctives est son mode de locomotion particulier, le "stotting" ou "pronking", un bond à quatre pattes simultané utilisé pour s'échapper ou signaler un danger. L'espèce inclut le Cerf à queue noire (Odocoileus hemionus columbianus et Odocoileus hemionus sitkensis), souvent considéré comme un écotype ou une sous-espèce distincte, qui peuple les régions côtières humides de l'Ouest.
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